lundi 26 mai 2014

Oeillet Bengale : Ma fleur fait boum

Allez trouver un œillet chez le fleuriste. Un qui sente le clou de girofle et le poivre, comme ceux que j’achetais jadis aux Gitanes de Séville… Nada. Des parfums ? L’Œillet Malmaison de Floris et l’Œillet Mignardise de Roger & Gallet (sauf son forme de savonnette) ont été consignés aux poubelles de l’histoire. Ceux de L’Air du Temps, de Poivre et de Bellodgia se sont étiolés. Pourtant, quand on sent des Caron vintage, ou de vieux Guerlain comme L’Heure Bleue, À Travers Champs, Cachet Jaune ou Mitsouko, formulés comme Dieu (alias Jacques G.) les a créés, on se rend compte à quel point l’œillet a enflammé les parfumeurs de l’âge d’or…

Aujourd’hui, entre les épilations brésiliennes imposées par le règlementaire et le « ça sent la vieille » du marketing (toute note ratiboisée par les restrictions tendant à se démoder puisqu’on ne la sent plus), on avait failli faire son deuil de cette fleur persécutée. Puis, BOUM ! Karl Bradl, copropriétaire d’Aedes de Venustas, en a planté l’idée dans les fioles de Rodrigo Flores-Roux, parfumeur mexicain qui pète d’autant plus le feu que les fleurs et le rouquin sont inscrits dans son nom. D’où ce que la marque appelle une « fleur enflammée »

Oeillet Bengale démontre à quel point les mots et les notes peuvent se polliniser lorsqu’un parfum est développé comme un poème. Le concept initial naît d’une estampe de Pierre-Joseph Redouté, le peintre botaniste à qui l’impératrice Joséphine demanda d’immortaliser les roses de la Malmaison. Car comme son nom ne l’indique pas, l’œillet de Bengale en est une : l’idée d’une fleur prise dans une crise d’identité a plu à Karl Bradl… Dont acte.

Avec ses épices enflammées et ses pétales en pétard, l’œillet sent l’explosion et ressemble à un feu d’artifices. Ni le directeur artistique, ni le parfumeur n’ont songé au feu de Bengale en assemblant leur engin infernal – le nom de leur muse leur suggérant néanmoins le tigre de Bengale qui rôde dans le fond ambré. L’inconscient pyrotechnique du projet a affleuré en après-coup (refoulé en retour de flamme). Il était là, dès le début, dans cet encens qui brûle dans tous les parfums d’Aedes. C’est lui qui met le feu aux poudres.

L’accord rose-ylang de cet œillet old-school tourney autour du methyl-diantilis, molecule Givaudan qui, avec ses accents gaïac et vanilline légèrement brûlés, sent l’iso-eugénol (mais qui n’est pas, contrairement à ce dernier, limité par l’IFRA, au cas où vous vous demanderiez comme une mixture si giroflée a pu être autorisée). Cet accord, relevé d’effet lys vert et fraise, est tenu comme par un tuteur par une tête crépitante de bergamote et de poivre noir (le second boostant les facettes poivrées du premier), plantée dans un fond ambré baumé où le poivre blanc, plus animal, insinue un fumet de fauve.

Bien qu’il ressuscite la tradition glamour d’oeillets classiques comme Bellodgia, Œillet Bengale affiche ses penchants flambeurs en brossant ses pétales de notes noires : ça sent le roussi. À son embrasement d’épices, succèdent les braises de résines grésillantes dont la flamme se ranime à la moindre brise – Œillet Bengale n’est pas une bombe à sillage mais un parfum dans le vent.

Avec ce troisième lancement (le quatrième si l’on compte un premier partenariat avec L’Artisan Parfumeur), la marque démontre la cohérence d’un style baroque et culotté qui reflète le goût de ses propriétaires – les formules sont développées expressément pour eux et non glanées dans les archives des maisons de composition, comme c’est souvent le cas pour les marques de niche. Mecque des aficionados du parfum à New York, Aedes de Venustas est désormais aussi l’une des nouvelles marques les plus intéressantes du secteur. 

Pour retrouver ses deux premiers parfums, Aedes de Venustas et Iris Nazarena, cliquez sur leurs noms.


6 commentaires:

  1. Connaissez-vous Garofano de Lorenzo Villoresi ?
    Une splendeur d'oeillet, pas si éloignée de ce que vous décrivez. Un oeillet serti de géranium et d'héliotrope. Le genre de parfum viscontien, palermitain, guépardien... Vous voyez : Burt Lancaster sortant de sa baignoire et s'en aspergeant devant son directeur de conscience !
    Bien à vous,
    Niels

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    1. Hou là! Je crois que j'ai mes vapeurs... quelle vision! Certainement, comme odeur, ça vaut mieux que le même Burt Lancaster les pieds dans la bouse, dans Novecento. Mais, pour vous répondre, non, je ne pense pas l'avoir jamais senti, je connais assez mal le travail de Villoresi.

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  2. Ça donne envie Denyse! Juste une crainte : a-t-il cet effet fraise Tagada de la Convoitée?
    VH

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    1. Non, non, c'est très discret, il faut vraiment tendre le nez!

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    2. Grands soupirs de soulagement...

      Merci!

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